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Thème : Soins de santé

L’Hôpital Saint-Michel-Archange Sœurs de la Charité de Québec (Québec)

Etienne Berthold, département de géographie. Université Laval, 2015


Le développement et la transformation du milieu médical de la Ville de Québec ne fait pas l’économie des problématiques de santé mentale, qui deviennent, au tournant du 19e siècle, un enjeu de santé publique important. En effet, dans le contexte d’accroissement démographique et d’expansion urbaine qui caractérise les grandes villes de la province à cette époque, « l’encadrement de la folie » (qui prend de multiples visages, du “fou furieux” à “l’irreligieux”), s’avère nécessaire pour assurer le maintien de l’ordre social1
 
À Québec, les pouvoirs publics se montrent préoccupés par cette question. Il faut toutefois l’initiative de la philanthrope américaine Dorothea Lin Dix, qui poursuit à l’échelle internationale la mission d’alléger les souffrances des personnes atteintes de problèmes de santé mentale, pour que le gouverneur Charles Metcalfe obtienne du gouvernement la création d’un lieu entièrement dévoué à cette cause, l’Asile de Beauport, en 1845. Auparavant, les personnes présentant des besoins en santé mentale n’avaient d’autre choix, lorsqu’elles accédaient à un établissement, que d’intégrer l’Hôpital général, qui consacrait à cette clientèle quelques loges isolées du reste de l’édifice.
 
Trois médecins – James Douglas, Joseph Morin et Charles-Jacques Frémont, assurent initialement la direction de l’Asile dit « privisoire » de Beauport. L’établissement, qui change de nom à deux reprises pour s’appeler  le « Quebec Lunatic Asylum » (1850) et « l’Asile des aliénés de Québec » (1865), est confronté très tôt à de grands besoins. En 1850, les 172 pensionnaires qu’il accueille sont transférés sur le site qui est occupé aujourd’hui encore par l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. Les capacités d’accueil de l’établissement, s’ajustant périodiquement aux besoins, iront croissant : plus de 900 lits seront occupés en 1910, 1650 lits en 1930, et 4300 à la fin des années 19402
 
Au début de ses activités, l’asile connaît une période d’instabilité en raison des différends qui opposent les propriétaires privés de l’établissement et les représentants du gouvernement. La question de l’internement des personnes souffrant de problèmes de santé mentale préoccupe les décideurs autant que les médecins; en 1887, le gouvernement provincial lance la Commission royale d’enquête sur les aliénés pour tenter d’y voir plus clair. Le rapport recommande, entre autres choses, le désengorgement de l’établissement de Beauport par la séparation des soins accordés aux « aliénés » et aux « arriérés3 ». Selon l’approche issue de la médecine clinique sur laquelle s’appuient les rédacteurs du rapport pour émettre leurs conclusions, ces deux catégories d’individus se distingueraient par le fait que les « aliénés », auraient, au contraire des « arriérés », la capacité d’être rééduqués par le biais de l’isolement et de l’internement. C’est sur la base de ce potentiel thérapeutique accordé à l’internement qu’en 1893 les Sœurs de la Charité de Québec sont requises à l’établissement de Beauport, afin de veiller au soin des aliénés. Après négociations, les Sœurs consentent à acquérir la propriété de 57 hectares et à en assurer la gouverne entière, tant au point de vue des installations physiques que du personnel. En 1897, l’établissement, dont la taille est considérable, est converti en municipalité de paroisse, dont la mère supérieure devient mairesse4. Le fonctionnement de l’établissement, désormais renommé Asile Saint-Michel-Archange, demandera une hausse croissante du personnel à l’emploi, ce qui constitue un défi gestionnaire de taille pour les Sœurs.
 
Le plus grand défi auquel font face les Sœurs de la Charité de Québec demeure toutefois la prise en charge des aliénés en elle-même, car ce mandat engage la communauté à élargir son champ d’action à un domaine s’éloignant des préoccupations et de la sensibilité initiales de la communauté : 
Le soin des aliénés est loin d’être attrayant pour la nature, aussi si nous l’eussions écoutée, assurément, nous eussions refusé l’offre du Gouvernement et nous nous fussions contentées de nous occuper de nos autres belles œuvres de charité sans en agrandir le cercle. Mais la pensée du bien que nous pourrions faire à cette classe d’infortunés, la plus malheureuse qui puisse exister parmi les misères humaines, triompha de la répugnance du petit nombre5
Au 20e siècle, l’Asile Saint-Michel-Archange, qui devient en 1914 l’Hôpital Saint-Michel-Archange, adopte une approche découlant de la neuropsychiatrie, largement influencée par la médecine française6. En 1924, l’établissement s’affilie à l’Université Laval et il devient un lieu d’enseignement clinique des pathologies neurologiques; à la même époque, trois médecins français spécialisés en neuropsychiatrie et en psychiatrie générale intègrent le corps professoral de l’Université Laval. Leur participation est sollicitée pour réorganiser les services offerts à l’Hôpital Saint-Michel-Archange. Ils s’inspirent alors du modèle de l’Hôpital Sainte-Anne de Paris et de sa clinique adjacente, la Clinique Henri-Rousselle. 
 
Le changement est majeur : alors que l’approche en santé mentale prévalant jusque-là favorise l’internement des malades, le modèle proposé par l’équipe de médecins français propose d’aller dans la direction de l’accueil de patients en clinique externe. En 1926, la clinique externe Roy-Rousseau est créée. Sans mettre fin au modèle d’internement des patients, elle s’offre comme un complément à la mission « généraliste » de l’Hôpital Saint-Michel-Archange, en permettant d’accueillir des patients pour un séjour de courte durée et des consultations externes7. Elle est également un lieu d’enseignement et de recherches cliniques en neuropsychiatrie.
 
La création de la Clinique Roy-Rousseau s’inscrit dans la mouvance de la « psychiatrie sociale » ou « hygiène mentale », une approche qui gagne en popularité à cette époque, et qui se distingue des courants qui la précèdent par le fait de viser l’insertion sociale des personnes atteintes d’un problème de santé mentale. Suivant cette approche, pour être soignés en clinique externe et évoluer à l’extérieur de l’hôpital, les malades doivent bénéficier de mécanismes de soutien et d’adaptation appropriés dans leur vie quotidienne. Entre les murs de Saint-Michel-Archange, la psychiatrie sociale est représentée et mise de l’avant par les travaux et actions du docteur Jean-Charles Miller. Celui-ci en donne l’image d’une approche de la médecine se situant à mi-chemin entre la science psychiatrique et le service social.
 
Le projet innovateur du docteur Miller est compromis en 1939 par une grande conflagration qui atteint le bâtiment accueillant l’Institut La Jemmerais et la Clinique Roy-Rousseau. Les religieuses sont alors tenues de réaffecter les patients dans l’ensemble du complexe de Saint-Michel-Archange. Sans disparaître complètement, la psychiatrie sociale subit les contrecoups de cet incendie et voit son développement ralenti au sein de l’institution8.

Au Québec tout comme dans l’ensemble du Canada, les gouvernements sont de plus en plus présents dans le financement des établissements de soins de santé mentale à compter du début du 20e siècle. Or, « malgré les investissements soutenus de l'État, le déploiement du réseau de santé, particulièrement dans le secteur de la psychiatrie, ne parvient pas à combler la demande grandissante en soins médicaux, si bien que l'on peut alors parler d'une crise de croissance9 ».
 
Entre les années 1950 et 1970, le système asilaire en place connaît de très importantes transformations. Victime d’encombrement – en 1960, la province de Québec comporte quelque 20 000 patients en institution dont plus de la moitié se trouvent dans les établissements de Saint-Jean de Dieu, à Montréal, et de Saint-Michel-Archange, à Québec10 –, le système est de plus en plus remis en question par une nouvelle génération de psychiatres qui se réclament d’approches progressistes et qui dénoncent le caractère clos et impersonnel qu’ils attribuent aux hôpitaux psychiatriques11. Le Rapport de la Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques (communément appelé « rapport Bédard », du nom de son président, Dominique Bédard), qui est déposé au ministère de la Santé en 1962, marque un jalon important dans la transformation du système asilaire. En réponse immédiate aux controverses découlant de la publication, à l’été 1961, du livre Les fous crient au secours de Jean-Charles Pagé, ancien patient de l’Hôpital Saint-Jean de Dieu, la Commission émet plusieurs recommandations. Au nombre de celles-ci, il y a la réduction de la taille des établissements, la régionalisation de leurs mandats et des clientèles qu’elles accueillent, l’administration de soins dits plus personnalisés et la réforme du système en général à la faveur de la désinstitutionnalisation de la maladie mentale. Cette dernière tendance est toujours discutée, de nos jours, en raison des bienfaits tout comme des inconvénients majeurs qu’elle peut engendrer12 .  
 
Au début des années 1960, l’hôpital Saint-Michel-Archange abrite, au total, plus de 5000 patients hospitalisés. Un tel nombre, qui surpasse la capacité d’accueil théorique de l’établissement et des pavillons qui y sont liés, témoigne de la tendance à l’encombrement qu’on y observe alors depuis quelques décennies. Il faut toutefois mentionner que l’établissement est caractérisé par un fort « taux » de roulement, dans la mesure où près de 1500 personnes y passent chaque année13. Plus de 75 % (3 871) des personnes hospitalisées en 1960 ont reçu un diagnostic de troubles schizophréniques ou de psychose. Quant au personnel de l’ensemble de l’établissement, il est composé de plus de 20 psychiatres diplômés ou en formation, d’un psychologue, de deux travailleurs sociaux, de près de 55 infirmières et infirmiers diplômés en psychiatrie, de 35 infirmières et infirmiers détenant une licence régulière, de plus de 600 aides-infirmières et aides-infirmiers et, finalement, de près de 200 étudiants et étudiantes en stage (voir figure 2).
 
Les transformations se succèdent à l’Hôpital Saint-Michel-Archange à compter du début des années 1960, en grande partie dans le sillage des recommandations de la Commission Bédard. En 1966, l’hôpital est incorporé en vertu de la Loi sur les hôpitaux publics et privés. Il se dote alors d’un premier conseil d’administration, similaire, dans sa forme, à celui qui caractérise les établissements de soins généraux de la congrégation des Sœurs de la Charité de Québec. Deux ans plus tard, la direction générale de l’établissement, jusqu’alors dévolue à Sr Albertine Roy, est cédée à un laïc, Jean-Claude Mathieu. En 1976, l’Hôpital Saint-Michel-Archange est rebaptisé « Centre hospitalier Robert-Giffard » (voir figure 1); le pavillon La Jemmerais devient le pavillon Arthur-Vallée, le pavillon Dufrost devient le pavillon Delphis-Brochu et le pavillon d’Youville devient le pavillon Landry-Poulin. En 1996, la clinique Roy-Rousseau fusionne avec le Centre hospitalier Robert-Giffard. L’année suivante, la Congrégation des Sœurs de la Charité de Québec cède officiellement la propriété de l’hôpital au gouvernement du Québec ; des religieuses continueront, toutefois, à pourvoir à la pastorale auprès des patients jusqu’à la toute fin des années 2000. Quant au Centre hospitalier Robert-Giffard, celui-ci devient, en 2009, l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ).
 
En 2014, l’IUSMQ offrait une gamme diversifiée de soins psychiatriques, en plus de dispenser des soins dans le domaine de la médecine générale. Il comptait sur un personnel de plusieurs centaines d’employés dont 110 psychiatres, 97 médecins spécialistes, près de 20 omnipraticiens et tout autant de pharmaciens. Il disposait d’un budget annuel dépassant 136 millions14.

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1André Cellard, Histoire de la folie au Québec de 1600 à 1850, Montréal, Boréal, 1991, p. 147.
2Charles-A. Martin, Le premier demi-siècle de la psychiatrie à Québec, s.e., s.d, 24 p.
3ASCQ – L028. Les Asiles d’aliénés de la province de Québec. Par le docteur A. Vallée, 1890, p. 23.
4Yvonne Ward, op. cit., Tome 2. Québec, Publications MNH, 1998, p.117-118; ASCQ – L028/Uc,03 Historique de la Ferme SMA. Historique, 1989.
5ASCQ – L028. Annales de l’Hôpital Saint-Michel-Archange, volume 1, 1892.
6Denis Goulet et Robert Gagnon, op.cit., p. 261.
7ASCQ, Annales Saint-Michel-Archange, 28 décembre 1926, p. 50.
8Jean-Charles Miller, Alphonse Pelletier, Antoine Larue, « Le Centre psychosocial de Québec », Les Cahiers de l’Hôtel-Dieu, vol. 4, no 26 (1949), p. 89-90.
9Catherine Duprey. La crise de l’enfermement asilaire au Québec à  l’orée de la révolution tranquille. Montréal, Université du Québec à Montréal, Mémoire de maîtrise, 2007, p. vii.
10Françoise Boudreau, De l'asile à la santé mentale, Montréal, Éditions Saint-Martin, 2003, p. 38-39.
11Catherine Duprey. op. cit., p.141.
12Le comité de la santé mentale du Québec, « Annexe 1 :35 ans de désinstitutionnalisation au Québec 1961-1996 »,  Défis de la reconfiguration des services de santé mentale, Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, Gouvernement du Québec, 1997, p. 175.
13Françoise Boudreau, op. cit., p. 124.
14IUSMQ, Rapport annuel de gestion 2014-2015, p. 36.
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